
Al-Madrassa al-Jadida : Lecture Approfondie du Rapport du CSEFRS sur le Nouveau Contrat Social pour l'Éducation Marocaine
Introduction
Le Conseil Supérieur de l'Éducation, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) a publié son Rapport N° 7/2024, intitulé "Al-Madrassa al-Jadida, Un nouveau contrat social pour l’éducation : De la Vision stratégique aux enjeux éducatifs futurs". Ce document s'inscrit dans le prolongement de la Vision stratégique 2015-2030 et de la loi-cadre 51-17, textes fondateurs de l'École nouvelle marocaine.
Comme le souligne le rapport, Al-Madrassa al-Jadida n'est pas une simple rénovation, mais la concrétisation d’un nouveau contrat entre la Nation et son École. Elle place l’éducation en tant que projet sociétal et bien commun, visant une École de qualité pour tous, qui met la réussite de l’apprenant et son épanouissement au cœur de ses préoccupations. L'ambition est d'initier une "véritable renaissance éducative" nécessitant des "inflexions et ruptures majeures".
Ce rapport constitue une référence essentielle, visant à éclairer les fondements de cette École nouvelle, à analyser les "nœuds systémiques" qui entravent sa mise en œuvre, et à proposer des pistes pour construire des politiques éducatives innovantes. Il est crucial pour tous les acteurs et professionnels de l'éducation.
Cet article présente une synthèse des sept enjeux majeurs développés dans le rapport, en s'appuyant directement sur son contenu.
Premier Enjeu : Se préparer aux enjeux éducatifs futurs
Le rapport analyse d'abord les grandes transformations mondiales (climatique, numérique, travail, culturelle, démographique) et leur impact déterminant sur les futurs de l'éducation. Face à cela, il appelle à une vision prospective (Vision-2050) pour réimaginer Al-Madrassa al-Jadida.
Il insiste sur la nécessité de considérer l'éducation non comme une politique sectorielle, mais comme un projet sociétal, moteur de la valorisation du capital humain. Cela requiert une gouvernance en commun et une stratégie nationale ambitieuse, dépassant les logiques cloisonnées.
Le rapport réaffirme les finalités d'Al-Madrassa al-Jadida (socialisation, enseignement/apprentissage, formation/qualification, recherche/innovation, apprentissage tout au long de la vie, protection contre l'abandon) et sa vocation à former des citoyens dotés de compétence globale, responsables, intègres et adaptables. Il souligne l'importance de considérer l'apprenant dans sa globalité, en prenant en charge les aspects sociaux, matériels et psychologiques.
Deuxième Enjeu : Vers une autonomie collaborative des établissements d’éducation et de formation
Cet enjeu marque un changement de paradigme : considérer l'École comme une "institution à part entière" ou une "communauté éducative locale", et non plus comme le dernier rouage d'une chaîne hiérarchique. Il s'agit de développer une approche "par la base" (bottom-up), reconnaissant la singularité de chaque établissement.
Le rapport plaide pour une gouvernance responsabilisante qui libère la créativité. Cette nouvelle gouvernance repose sur quatre principes :
- L'autonomie et la souplesse organisationnelle, liées à la responsabilisation.
- L'évaluation des établissements comme outil de pilotage.
- La diversification pour respecter les contextes spécifiques.
- L'ouverture institutionnelle (partenariats, relations avec d'autres acteurs).
L'autonomie doit être combinée avec une culture de la collaboration, essentielle pour transformer l'enseignement et instaurer un "professionnalisme collaboratif". L'objectif est de tendre vers une "organisation apprenante", capable de réflexion et d'adaptation continues.
Troisième Enjeu : Une communauté locale engagée
Al-Madrassa al-Jadida est pensée comme une institution sociale forte entretenant des liens profonds avec la société, rompant avec son isolement traditionnel. L'éducation devient une responsabilité partagée impliquant tous les acteurs locaux.
Le rapport développe le concept de "gouvernance par le milieu", où les acteurs locaux (chef d'établissement, enseignants, communauté, réseaux scolaires, inspecteurs...) collaborent pour la réussite des élèves. Ce "maillage collaboratif" est favorisé par les réseaux locaux d'établissements.
Un rôle clé est dévolu aux collectivités territoriales, dont l'engagement doit dépasser le simple appui matériel pour s'inscrire dans une véritable gouvernance éducative locale, via le transfert de compétences et de moyens. Le Conseil d'établissement est vu comme l'organe idéal pour articuler orientations nationales et projet local.
Le rapport insiste aussi sur le rôle déterminant des autres acteurs éducatifs : personnel de soutien, travailleurs sociaux, conseillers, animateurs, et surtout les parents, les syndicats et la société civile/entreprises. Une mobilisation sociétale pérenne, basée sur un "récit mobilisateur", est essentielle au succès.
Quatrième Enjeu : Des structures d’appui, d’orientation et de régulation efficaces
Cet axe traite des interactions entre Al-Madrassa al-Jadida et les structures administratives, dans le cadre d'une gouvernance performante basée sur le principe de subsidiarité. Le NMD et la Vision Stratégique plaident pour un État au rôle stratégique et régulateur, mais dont les responsabilités de management sont attribuées aux structures territoriales.
Cela implique une refonte globale pour créer des Académies (AREF) de nouvelle génération, véritables entités professionnelles performantes, dotées d'une autonomie renforcée et de moyens accrus. La Direction provinciale doit voir son rôle d'appui et d'accompagnement de proximité réaffirmé.
Le statut des établissements scolaires (actuellement régi par le décret 2.02.376) doit être entièrement révisé pour s'adapter aux exigences d'autonomie et de gouvernance d'Al-Madrassa al-Jadida. L'administration pédagogique doit être professionnalisée, son sous-effectif (notamment au primaire) comblé, et le statut de directeur revalorisé.
L'intégration de la formation professionnelle initiale dans ce réseau, notamment via les AREF, est également abordée comme une nécessité pour dépasser la fragmentation actuelle.
Cinquième Enjeu : Nouveau modèle pédagogique et professionnalisation des métiers de l’enseignement
Le modèle pédagogique est au cœur d'Al-Madrassa al-Jadida. Il doit traduire les nouveaux enjeux éducatifs et les attentes sociétales, en dépassant la simple transmission/mémorisation pour viser une "compréhension conceptuelle et épistémique profonde".
Ce nouveau modèle repose sur :
- Des orientations et finalités claires (cf. loi-cadre).
- Une pédagogie ciblant l'intelligence, l'interaction créative, le développement des compétences (savoir-faire, savoir-être, initiative, autonomie).
- Une architecture par cycles et passerelles, une ingénierie linguistique (plurilinguisme), et l'inclusion du handicap.
- La définition des missions des établissements, l'autonomie pédagogique.
- Une orientation repensée, une gestion adaptée des temps/rythmes.
- Des méthodes d'évaluation renouvelées (validation des acquis).
- L'intégration d'activités culturelles/sportives, le soutien pédagogique.
- La contribution à la société du savoir (recherche, innovation).
- Un dispositif de suivi/évaluation/révision de l'ingénierie pédagogique.
Le rapport insiste sur les savoirs et compétences pour le monde de demain (rigueur, précision, cohérence) et sur la rénovation des curricula et méthodes.
La professionnalisation et la valorisation des métiers de l'enseignement sont cruciales. Cela passe par la formation initiale et continue (Centre d'excellence du Professorat, l'amélioration des conditions de travail, la reconnaissance sociale et l'instauration d'un contrat de confiance.
Sixième Enjeu : Faire converger les politiques publiques d’Al-Madrassa al-Jadida
Cet enjeu vise à abandonner les structures rigides et fragmentées du système actuel. L'État doit jouer son rôle de stratège pour "décloisonner les silos" et créer un écosystème éducatif cohérent, favorisant l'interconnexion et la coordination.
Le rapport analyse plusieurs "nœuds systémiques" liés à cette fragmentation:
- Manque d'intégration et de passerelles entre cycles et composantes (scolaire, FP, supérieur, traditionnel...).
- Difficulté d'articuler enseignement général et formation professionnelle pré-bac.
- Nécessité d'une réforme profonde des premiers cycles universitaires (LMD) pour plus de flexibilité, de diversification (formations courtes) et de valorisation des diplômes intermédiaires.
- Intégration souhaitable des écoles de formation des cadres aux universités.
- Nécessité d'un cadre institutionnel spécifique et adapté pour le préscolaire.
- Besoin d'une mobilisation et d'un financement plus larges pour l'école de la deuxième chance.
- Approche partagée et convergente pour la prise en charge du handicap et des besoins spécifiques.
L'objectif est de construire un système éducatif où les composantes agissent en synergie, avec des parcours plus fluides et flexibles pour les apprenants.
Septième Enjeu : La conduite du changement
La réalisation d'Al-Madrassa al-Jadida exige une transformation systémique qui ne peut se faire sans une conduite du changement efficace et pensée sur la durée.
Les clés de cette conduite sont :
- Faire émerger une compréhension commune et une adhésion aux objectifs, pour dépasser l'"effet système" et les résistances.
- Créer un contexte politique favorable, basé sur le consensus national et la mobilisation des acteurs (syndicats notamment).
- Mettre en place des mécanismes de déclinaison opérationnelle clairs (stratégies sectorielles, plans d'action, programmation, suivi/évaluation).
- Adopter une approche participative (Adhésion, Compréhension, Appropriation), impliquant tous les niveaux, sur le modèle PDIA (Adaptation itérative pour la résolution de problèmes, p.126).
- Dépasser l'"effet sectoriel" et assurer la convergence entre tous les acteurs (État, collectivités, société civile...).
- Ne pas hésiter, comme le rappelle le Discours Royal (cité p.4 et p.129), à opérer les ruptures nécessaires avec "audace".
Le rapport conclut sur le caractère incontestable de cette "grande ambition nationale" et la nécessité d'une mobilisation générale pour concrétiser ce nouveau contrat social pour l'éducation.
En guise de conclusion
Le rapport "Al-Madrassa al-Jadida" réaffirme que la valorisation du capital humain est le moteur du développement et de la cohésion sociale. La transformation profonde du système éducatif, tracée par la Vision stratégique et la loi-cadre, est une nécessité.
Ce document propose une démarche constructive pour dépasser les limites actuelles et les entraves à l'instauration d'Al-Madrassa al-Jadida. Il appelle à réexaminer nos façons de penser l'éducation et à concrétiser un nouveau contrat social entre la Nation et son École, basé sur l'équité et la qualité pour tous.
Fondamentalement, le Conseil estime que la question éducative doit faire l'objet d'une concertation nationale large, au vu des défis immenses. Ce rapport se veut une plateforme pour ce débat essentiel à l'avenir du Maroc.