Enseignement Explicite : Pourquoi ça Marche et Comment l'Intégrer à votre Pratique ?
Introduction
L'aspiration de tout enseignant à réellement "faire la différence" dans le parcours d'apprentissage de ses élèves est plus pertinente que jamais. Dans un paysage pédagogique riche et parfois complexe, l'enseignement explicite se distingue comme une approche pédagogique rigoureusement structurée, dont l'efficacité est validée par des décennies de recherches empiriques en éducation et en psychologie cognitive. Il ne s'agit nullement d'un retour à une transmission passive des savoirs, mais bien d'une démarche interactive, dynamique et intentionnelle, conçue spécifiquement pour rendre les apprentissages complexes accessibles au plus grand nombre, qu'il s'agisse de l'acquisition de contenus académiques fondamentaux ou du développement de comportements sociaux essentiels. La force de la pédagogie explicite réside dans sa capacité avérée à améliorer significativement la réussite scolaire, particulièrement pour les élèves les plus fragiles, en s'appuyant sur des stratégies d'enseignement efficaces et des données probantes plutôt que sur de simples intuitions ou traditions. Cet article a pour ambition de détailler les multiples facettes de cette approche : ses fondements théoriques et empiriques, les contextes privilégiés pour sa mise en œuvre, les modalités concrètes de son application en classe à travers ses étapes clés et ses gestes professionnels, les principes d'une planification de leçon explicite rigoureuse, et enfin, les outils et démarches permettant une observation constructive au service d'une pratique réflexive et d'une amélioration continue.
Pourquoi et quand mettre en œuvre l’enseignement explicite ?
L'adoption de l'enseignement explicite n'est pas un choix anodin mais une décision pédagogique étayée par des arguments scientifiques robustes. Sa pertinence découle directement des connaissances accumulées sur l'efficacité de l'enseignement et les processus cognitifs impliqués dans l'apprentissage.
Justification : Fondements théoriques et preuves d'efficacité
Les fondements de l'enseignement explicite plongent leurs racines dans les recherches sur "l'effet-enseignant" et "l'effet-classe". Contrairement à une idée longtemps répandue suite à des travaux comme ceux de Coleman, qui attribuaient une part prépondérante de la réussite à l'origine sociale, des recherches ultérieures (notamment synthétisées par Bressoux) ont clairement démontré que les pratiques mises en œuvre par l'enseignant en classe ont un impact considérable sur les progrès des élèves, expliquant une part significative (souvent entre 10% et 20%) de la variance des acquis scolaires. Cet effet est comparable, voire supérieur, à celui de l'origine socio-économique, avec l'avantage crucial qu'il repose sur des facteurs modifiables par l'action pédagogique.
L'enseignement explicite trouve également une justification forte dans la psychologie cognitive, en particulier via la théorie de la charge cognitive (initiée par Sweller). Cette théorie postule que notre mémoire de travail, responsable du traitement conscient de l'information, est très limitée en capacité et en durée lorsqu'il s'agit d'éléments nouveaux. À l'inverse, notre mémoire à long terme possède une capacité quasi illimitée pour stocker des informations organisées sous forme de schémas. L'apprentissage efficace consiste donc à construire et automatiser ces schémas en mémoire à long terme. Les approches pédagogiques peu guidées (découverte, résolution de problèmes sans guidage) risquent de surcharger la mémoire de travail avec des informations non pertinentes ou une recherche de solution laborieuse, empêchant ainsi l'apprentissage durable. L'enseignement explicite, par ses techniques spécifiques – segmentation de l'information (du simple au complexe), modelage clair par l'enseignant ("penser à voix haute", utilisation d'exemples et contre-exemples), pratique guidée intensive avec feedback, pratique autonome visant l'automatisation – est conçu pour minimiser la charge cognitive extrinsèque (inutile) et favoriser la charge cognitive essentielle (liée à la construction des schémas).
La distinction établie par Geary entre apprentissages primaires (évolutivement anciens, acquis quasi naturellement, comme la langue orale) et apprentissages secondaires (culturellement transmis, nécessitant un effort conscient et un enseignement délibéré, comme la lecture, l'écriture, les mathématiques complexes) renforce encore la nécessité d'une approche explicite pour ces derniers. Tenter d'enseigner la lecture comme on apprend à parler, par simple immersion, est une confusion entre théorie de la connaissance et théorie pédagogique qui s'avère inefficace, voire préjudiciable.
Bénéfices de l'enseignement explicite
Les recherches convergent pour souligner plusieurs avantages majeurs de cette approche :
- Équité et efficacité accrues : Il permet à une plus grande proportion d'élèves, et notamment ceux en difficulté ou défavorisés qui bénéficient moins d'étayage implicite hors de l'école, d'atteindre les objectifs d'apprentissage. Il élève la moyenne de la classe tout en réduisant les écarts de performance et la corrélation entre origine sociale et réussite (correspondant à la définition de l'efficacité et de l'équité selon Bloom).
- Polyvalence : Son efficacité est démontrée pour un large éventail de contenus (compétences fondamentales en lecture, écriture, mathématiques, mais aussi stratégies de compréhension, résolution de problèmes complexes, faits scientifiques, règles grammaticales) et de comportements (respect des règles, collaboration, autonomie).
- Applicabilité large : Il est bénéfique pour différents types d'élèves (en difficulté, moyens, performants – ces derniers bénéficiant aussi d'une structuration claire) et à différents âges (du préscolaire à l'âge adulte).
- Amélioration de la gestion de classe : En rendant les attentes claires, en structurant les activités et en maintenant les élèves activement engagés cognitivement (par le questionnement fréquent, la pratique...), l'enseignement explicite réduit les sources potentielles de distraction et de comportements perturbateurs, créant un climat plus propice aux apprentissages.
Contextes d'application privilégiés
Si l'enseignement explicite est une approche puissante, son application doit être contextualisée. Il est particulièrement recommandé lorsque :
- Les élèves sont novices : Ils manquent des schémas nécessaires en mémoire à long terme pour traiter efficacement l'information nouvelle. L'enseignant doit alors fournir un étayage externe important.
- Le contenu enseigné est nouveau et/ou complexe : La nécessité de segmenter l'information et de guider l'apprentissage est accrue pour éviter la surcharge cognitive.
- Le temps disponible est limité : L'approche structurée et directe de l'enseignement explicite permet une utilisation plus efficiente du temps d'enseignement.
- L'objectif concerne des "idées maîtresses" ou "contenus critiques" : Ces éléments fondamentaux du curriculum, souvent complexes et abstraits, requièrent un enseignement particulièrement clair et structuré pour assurer leur maîtrise par tous.
- L'objectif est l'enseignement de comportements : Les attentes comportementales en milieu scolaire sont des conventions sociales qui ne sont pas innées ; elles doivent être enseignées explicitement, comme n'importe quel autre contenu, pour des raisons d'efficacité et d'équité.
À l'inverse, lorsque les élèves possèdent déjà une bonne expertise (schémas bien développés), que la tâche est simple et familière, et que le temps n'est pas une contrainte majeure, des approches moins directives (projets, découverte guidée) peuvent devenir pertinentes et même plus efficaces (évitant l'effet d'inversion de l'expertise où un guidage excessif devient redondant et contre-productif). Le choix judicieux entre ces approches, basé sur l'analyse de la situation, constitue le "tact pédagogique" de l'enseignant expérimenté et informé.
Comment mettre en œuvre l’enseignement explicite ?
La mise en œuvre de l'enseignement explicite va bien au-delà d'une simple transmission d'informations. Elle s'incarne dans une interaction dynamique entre l'enseignant et les élèves, orchestrée autour de principes clairs, d'étapes séquencées mais flexibles, et de gestes professionnels spécifiques et intentionnels.
Principes Clés et Gestes Professionnels fondamentaux
Sept gestes professionnels constituent l'ossature de l'enseignement efficace et sont particulièrement mobilisés dans la pédagogie explicite :
- Présenter le contenu : Il s'agit d'expliciter non seulement le "quoi" (le savoir, la compétence), mais aussi le "comment" (la démarche, la stratégie), le "pourquoi" (l'utilité, le sens), et le "quand/où" (le contexte d'application). Cela inclut la présentation des objectifs, l'utilisation d'exemples et de contre-exemples, la mise en évidence des aspects importants et la présentation du contenu général.
- Donner des Consignes : Les instructions doivent être claires, précises, concises et non ambiguës, idéalement doublées d'un support écrit. Différents types de consignes existent selon l'activité (exercices collectifs, enseignement réciproque, évaluation formative, travail individuel).
- Objectiver : Rendre visible la pensée et la compréhension des élèves. Ce geste est crucial et doit être fréquent. Il dépasse le simple "Avez-vous compris ?" pour sonder spécifiquement ce qui a été compris (objectivation de la compréhension), les connaissances factuelles (objectivation du contenu), les stratégies utilisées (objectivation de la métacognition) ou les représentations et opinions initiales.
- Fournir des Rétroactions (Feedback) : Donner un retour d'information aux élèves sur leur performance ou leur compréhension. Pour être efficace, le feedback doit être rapide, spécifique, constructif, axé sur la tâche ou le processus et non sur la personne. Il peut être approbatif, correctif, solliciter une amélioration, ou émaner des pairs ou de l'élève lui-même (auto-évaluation).
- Étayer (Scaffolding) : Fournir un soutien temporaire ajusté aux besoins de l'élève pour l'aider à franchir une difficulté. L'étayage peut prendre diverses formes : physiques (guidage gestuel), verbales (indices, rappels, questions ciblées) ou visuelles (affiches, aide-mémoires, organisateurs graphiques, exemples résolus). Il est progressivement retiré (désétayage) à mesure que l'élève gagne en autonomie.
- Gérer la classe (Interventions Préventives) : Instaurer un environnement propice à l'apprentissage en amont. Cela inclut l'établissement de relations positives, l'utilisation de renforcements positifs (sociaux et tangibles, utilisés judicieusement), la captation de l'attention, la gestion efficace de l'espace et du temps (routines, transitions fluides), la gestion de la participation (assurer l'engagement de tous) et l'enseignement explicite des comportements attendus.
- Gérer la classe (Interventions Correctives) : Réagir de manière appropriée, graduée et éducative aux écarts de conduite mineurs (stratégies indirectes puis directes, rappel à la règle, choix, réparation) ou majeurs (retrait, analyse fonctionnelle).
Étapes Concrètes d'une Leçon Explicite
Ces gestes s'articulent au sein d'une structure de leçon typique, qu'il faut concevoir de manière itérative et flexible plutôt que linéaire :
- 1. Ouverture :
- Actions : Capter l'attention (signal clair), présenter l'objectif, justifier son importance (lien avec le vécu, le parcours scolaire, la vie quotidienne), activer et vérifier les connaissances préalables (questions, court exercice, rappel).
- Gestes clés : Captation, présentation (quoi/pourquoi/quand/où de l'objectif), objectivation (de la compréhension de l'objectif et des prérequis), gestion de la participation (souvent aléatoire pour vérifier les prérequis), rétroactions, interventions sociales positives.
- Objectif : Orienter les élèves, s'assurer qu'ils sont prêts cognitivement et motivationnellement.
- 2. Modelage ("Je le fais" / I do it) :
- Actions : L'enseignant démontre la compétence ou la stratégie étape par étape, en verbalisant son processus de pensée ("think-aloud"). Il segmente l'information en petites unités, utilise des exemples clairs et des contre-exemples pertinents, met en évidence les points critiques. Il peut utiliser un support visuel (tableau, aide-mémoire).
- Gestes clés : Présentation (comment/quoi/pourquoi/quand/où de la tâche, exemples/contre-exemples, aspects importants), interventions préventives (balayage visuel, renforcement). L'objectivation y est moins fréquente pour ne pas hacher la démonstration, mais possible si intégrée judicieusement.
- Objectif : Rendre visible l'invisible (le processus cognitif expert), fournir un modèle correct et complet.
- 3. Pratique Guidée ("Nous le faisons ensemble" / We do it) :
- Actions : Les élèves réalisent des tâches similaires à celle modelée, avec un fort soutien de l'enseignant et/ou des pairs (exercices collectifs au tableau, enseignement réciproque en dyades). L'enseignant circule, pose de nombreuses questions pour objectiver la compréhension et les stratégies, fournit des feedbacks fréquents et spécifiques, et étaie si nécessaire. Une évaluation formative (ardoise, test rapide) est souvent menée pour vérifier l'atteinte du seuil de réussite (ex: 80%) avant la pratique autonome.
- Gestes clés : Objectivation (fréquente et spécifique), rétroactions (variées et ajustées), étayage, gestion de la participation (aléatoire, collective...), consignes (pour exercices collectifs/réciproques/formatifs), déplacements, interventions préventives et correctives.
- Objectif : Permettre aux élèves de s'entraîner avec un filet de sécurité, détecter et corriger rapidement les erreurs, assurer une compréhension partagée.
- 4. Pratique Autonome ("Tu le fais seul" / You do it) :
- Actions : Les élèves effectuent individuellement des exercices pour renforcer, consolider et automatiser les apprentissages. L'enseignant continue de superviser activement (circulation), d'objectiver, de fournir des rétroactions (moins fréquentes mais ciblées) et de l'étayage si besoin, notamment pour différencier et soutenir les élèves encore fragiles (qui peuvent rester en pratique guidée ou refaire un modelage).
- Gestes clés : Consignes (pour exercices individuels), supervision active via déplacements, objectivation, rétroactions, étayage (différencié), interventions préventives et correctives.
- Objectif : Atteindre un haut niveau de maîtrise et d'automaticité, favoriser le transfert.
- 5. Clôture :
- Actions : L'enseignant guide les élèves pour synthétiser les points essentiels de la leçon (Qu'avons-nous appris ? Comment ? Pourquoi est-ce important ?). Il annonce l'objectif de la séance suivante pour créer du lien. Il peut proposer des exercices de consolidation (début des devoirs, révision).
- Gestes clés : Objectivation (synthèse des apprentissages), présentation (objectif futur), consignes (pour pratique continue), interventions préventives.
- Objectif : Consolider la mémorisation, assurer la métacognition sur l'apprentissage réalisé, préparer la suite.
Itérativité et Flexibilité : Il est crucial de comprendre que ces étapes ne sont pas un carcan rigide. L'enseignant peut et doit "boucler" : revenir à une étape antérieure (ex: du guidé au modelage) si l'évaluation formative ou l'observation des élèves montre que la compréhension n'est pas suffisante. Une leçon peut contenir plusieurs cycles Modelage-Guidée-Autonome pour des sous-compétences. Cette flexibilité est au cœur de la différenciation intrinsèque à l'enseignement explicite.
Comment planifier l’enseignement explicite ?
L'efficacité de l'enseignement explicite ne s'improvise pas ; elle découle d'une planification de leçon systématique, détaillée et intentionnelle. Cette préparation minutieuse, loin d'être une contrainte bureaucratique, est un véritable étayage pour l'enseignant lui-même, lui permettant de libérer sa charge cognitive pendant l'interaction en classe pour mieux observer, analyser et ajuster son action aux besoins des élèves.
Démarche de Planification Structurée
La planification d'une leçon ou d'une séquence explicite s'articule autour de deux axes majeurs, le "quoi enseigner" et le "comment et pourquoi enseigner", qui nécessitent des décisions éclairées :
- Définir le "QUOI ENSEIGNER" :
- Sélectionner les Contenus Critiques : Identifier, à partir des programmes et référentiels, les savoirs, savoir-faire, stratégies ou comportements essentiels ("idées maîtresses", "contenus critiques") qui, du fait de leur importance, de leur complexité ou de la nouveauté pour les élèves, justifient une approche explicite.
- Segmenter et Ordonner : Décomposer les objectifs complexes en sous-objectifs ou étapes plus simples, et les organiser dans une séquence logique d'apprentissage, progressant généralement du simple vers le complexe et en s'assurant que les prérequis sont abordés avant les compétences qui s'y appuient. Éviter d'aborder des concepts similaires prêtant à confusion dans la même leçon.
- Formuler des Objectifs d'Apprentissage Précis (SMART) : Pour chaque unité d'enseignement, rédiger des objectifs clairs, observables et mesurables. Utiliser des verbes d'action observables et spécifier :
- La Performance attendue (ce que l'élève sera capable de faire).
- Les Conditions de réalisation (avec quelles aides, quel matériel, dans quel contexte).
- Le Critère de réussite (niveau de précision, vitesse, nombre de réussites minimum, ex: 80% de réponses correctes).
- Identifier les Connaissances Préalables : Lister précisément les savoirs et savoir-faire que les élèves doivent déjà maîtriser pour aborder la nouvelle leçon avec succès. Prévoir explicitement comment ces prérequis seront vérifiés (questions, exercice diagnostique...).
- Préparer l'Évaluation : Concevoir les outils et modalités d'évaluation (formative et/ou sommative) qui permettront de vérifier si les objectifs d'apprentissage spécifiques de la leçon ont été atteints. L'alignement entre objectifs, enseignement et évaluation est ici crucial.
- Définir le "COMMENT ET POURQUOI ENSEIGNER" :
- Rédiger la Méthodologie Détaillée : C'est le cœur de la planification opérationnelle. Pour chaque étape de la leçon (ouverture, modelage, pratique guidée, pratique autonome, clôture), décrire précisément :
- Les actions et verbalisations de l'enseignant (les gestes professionnels spécifiques à mobiliser).
- Les activités proposées aux élèves et les attentes à leur égard.
- Le matériel nécessaire (supports visuels, exercices, aide-mémoires...).
- Les consignes exactes qui seront données.
- Les questions d'objectivation prévues.
- Les types de rétroactions et d'étayages anticipés.
- Vérifier l'Alignement Curriculaire : S'assurer, une fois la méthodologie rédigée, que les activités et l'évaluation prévues sont parfaitement cohérentes avec les objectifs d'apprentissage fixés et les contenus prescrits par le curriculum. Corriger les éventuels écarts.
- Rédiger la Méthodologie Détaillée : C'est le cœur de la planification opérationnelle. Pour chaque étape de la leçon (ouverture, modelage, pratique guidée, pratique autonome, clôture), décrire précisément :
Anticipation et Différenciation
Une planification efficace ne se contente pas de décrire le scénario idéal. Elle intègre une dimension proactive d'anticipation :
- Anticiper les difficultés : Réfléchir aux erreurs typiques des élèves sur le contenu visé, aux points qui posent souvent problème, aux éventuels malentendus ou conceptions erronées.
- Prévoir les étayages : Sur la base des difficultés anticipées, préparer des aides spécifiques (rappels, indices, supports visuels, exemples supplémentaires) à proposer aux élèves qui en auraient besoin.
- Planifier la différenciation : Envisager comment adapter la pratique guidée ou autonome pour les élèves qui progressent plus lentement (plus de guidage, retour au modelage, exercices différents) ou plus rapidement (activités d'approfondissement, rôle de tuteur). Le modèle de la Réponse à l'Intervention (RàI) offre un cadre structuré pour cette différenciation par paliers d'intensité.
- Matrice comportementale : Pour les leçons portant sur les comportements, la planification implique la création d'une matrice définissant clairement les attentes positives ("Je fais...") pour différentes situations ou lieux de vie de la classe/école.
Bien que détaillée, surtout pour les enseignants débutant avec cette approche, cette planification n'est pas synonyme de rigidité. Elle fournit une structure sécurisante qui, paradoxalement, libère l'enseignant pour être plus réactif et flexible face aux événements imprévus de la classe, tout en garantissant que les éléments essentiels de l'enseignement efficace sont bien présents.
Comment observer l’enseignement explicite pour porter un regard réflexif sur sa pratique ?
La démarche réflexive est au cœur du développement professionnel enseignant. Pour qu'elle soit véritablement efficace et dépasse le stade de l'impression subjective, elle gagne à s'appuyer sur une observation structurée de la pratique, idéalement confrontée aux principes et gestes de l'enseignement explicite reconnus par la recherche.
Objectifs de l'Observation dans une Démarche Réflexive
Observer (ou s'auto-observer, par exemple via un enregistrement vidéo) sa propre pratique ou celle d'un pair/stagiaire, à travers le prisme de l'enseignement explicite, vise plusieurs objectifs complémentaires :
- Prise de conscience objective : Identifier précisément les gestes professionnels effectivement mis en œuvre (verbaux et non verbaux), leur fréquence, leur séquence, et ceux qui sont omis ou sous-utilisés, en se basant sur des faits observables plutôt que sur des souvenirs potentiellement biaisés ou incomplets.
- Analyse comparative : Mettre en regard les pratiques observées avec les stratégies d'enseignement efficaces issues de la recherche (telles que celles décrites dans les modèles d'enseignement explicite), pour évaluer la congruence et identifier les écarts.
- Diagnostic précis : Cerner objectivement les points forts de la pratique et les aspects nécessitant une amélioration ou un ajustement.
- Alimentation de la réflexion : Fournir une base de données concrète pour nourrir les trois niveaux de la démarche réflexive (décrire, prendre du recul, se tourner vers le futur) et formuler des pistes d'amélioration ciblées et réalistes.
- Développement professionnel ciblé : Permettre un accompagnement (coaching, formation) plus précis et efficace, axé sur le développement de gestes professionnels spécifiques.
Indicateurs Observables et Outils
Pour structurer l'observation et la rendre plus fiable, il est indispensable d'utiliser des outils basés sur un modèle de référence clair. Le cadre de l'enseignement explicite fournit ce modèle. Des outils comme la grille "Miroir des Gestes Professionnels" (MGP) ou des listes de vérification ("check-lists") spécifiques à chaque étape de la leçon (ouverture, modelage, etc.) permettent de focaliser l'attention de l'observateur sur des indicateurs précis et opérationnalisés. Ces indicateurs correspondent aux sept gestes professionnels fondamentaux :
- Qualité de la Présentation : L'objectif est-il clair et justifié ? Le modelage ("penser à voix haute") est-il effectif ? Les exemples/contre-exemples sont-ils pertinents et bien utilisés ? Les aspects importants sont-ils soulignés ?
- Clarté et Pertinence des Consignes : Sont-elles adaptées à la tâche et à l'étape ? Facilement compréhensibles ?
- Fréquence et Nature de l'Objectivation : L'enseignant vérifie-t-il régulièrement et spécifiquement la compréhension ? Sonde-t-il le contenu, la métacognition, les représentations ?
- Qualité de la Rétroaction : Le feedback est-il donné ? Est-il immédiat, spécifique, axé sur le processus ? Évite-t-il les jugements sur la personne ?
- Pertinence de l'Étayage : Des aides sont-elles proposées au bon moment et de manière ajustée aux difficultés observées ? Sont-elles variées (verbales, visuelles...) ?
- Efficacité de la Gestion de Classe : Quelles stratégies préventives sont mobilisées (climat, renforcement, routines...) ? Comment les écarts de conduite sont-ils gérés (interventions indirectes, directes, graduées) ?
- Équité de la Gestion de la Participation : Tous les élèves ont-ils l'opportunité de participer et de recevoir un feedback ? Comment l'enseignant gère-t-il les prises de parole (volontaires, désignation aléatoire, réponse chorale...) ?
L'utilisation de logiciels d'observation (comme Vosaic Connect ou The Observer XT) peut enrichir l'analyse en permettant de coder les gestes en direct ou en différé, de synchroniser les codes avec la vidéo, de visualiser les fréquences et séquences, et de faciliter le débriefing réflexif.
Intégration dans la Démarche Réflexive
Les données issues de l'observation outillée sont ensuite exploitées pour nourrir une démarche réflexive structurée, par exemple en s'inspirant du modèle à trois niveaux (Derobertmasure) :
- Décrire la pratique : Sur la base des observations codées ou des notes prises. "Qu'ai-je fait exactement lors du modelage ?" "Quels types d'objectivation ai-je le plus utilisés ?" "De quoi ai-je pris conscience en revoyant la vidéo ?"
- Prendre du recul (Analyser) : Mettre en perspective les actions décrites. "Mon intention était-elle alignée avec mes actions ?" "Comment puis-je justifier le choix de cette stratégie de feedback (préférence, théorie, contexte...) ?" "Comment est-ce que j'évalue l'efficacité de ma gestion de la participation au regard des principes d'équité ?" "Y a-t-il un écart entre ma pratique et les recommandations sur la pratique guidée ?"
- Se tourner vers le futur (Améliorer) : Formuler des hypothèses et des pistes d'action concrètes. "Quelles alternatives aurais-je pu utiliser pour objectiver la compréhension de manière plus spécifique ?" "Quelle stratégie de désignation aléatoire serait la plus adaptée la prochaine fois ?" "Quelle règle personnelle puis-je formuler concernant le temps d'attente après une question ?"
Ainsi, l'observation structurée selon les principes de l'enseignement explicite transforme le regard réflexif d'une introspection potentiellement vague en un puissant moteur de développement professionnel, ancré dans des pratiques dont l'efficacité pour la réussite scolaire est solidement établie.
Conclusion
Au terme de ce parcours approfondi, l'enseignement explicite se révèle bien plus qu'une simple méthode : c'est une approche pédagogique cohérente, puissante et flexible, solidement étayée par la recherche en sciences de l'éducation et en psychologie cognitive. Son architecture, articulée autour d'un modelage clair, d'une pratique guidée soutenue et d'une pratique autonome progressive, offre un cadre structurant particulièrement bénéfique pour l'apprentissage de tous les élèves, notamment les plus novices ou ceux rencontrant des difficultés. Elle s'applique avec une efficacité démontrée tant aux contenus académiques qu'aux comportements sociaux attendus.
La réussite de sa mise en œuvre dépend cependant d'une planification de leçon explicite rigoureuse, qui anticipe les besoins et les obstacles potentiels, et d'une capacité à observer et analyser sa propre pratique de manière réflexive et objective. Les outils d'observation et les cadres d'analyse présentés visent à soutenir les enseignants dans cette démarche continue d'amélioration.
Il est fondamental de réitérer que l'enseignement explicite, tout en proposant des stratégies d'enseignement efficaces et une structure éprouvée, n'est pas une recette à appliquer aveuglément. L'intelligence professionnelle et le "tact pédagogique" de l'enseignant résident dans sa capacité à adapter ces principes et ces gestes au contexte unique de sa classe, aux spécificités de ses élèves et à la nature du contenu enseigné. Accompagner les enseignants, dès la formation initiale et tout au long de leur carrière, à s'approprier, maîtriser et adapter ces pratiques fondées sur des données probantes est un levier essentiel pour une plus grande efficacité et équité du système éducatif. En assumant pleinement la responsabilité inhérente au pouvoir d'enseigner, les praticiens qui intègrent judicieusement l'enseignement explicite à leur répertoire disposent d'outils précieux pour favoriser la réussite scolaire et l'épanouissement de chaque élève.
Référence Principale de l'Article
Note : L'ensemble des informations, stratégies et exemples présentés dans cet article sont issus de l'analyse de l'ouvrage suivant :
- Bocquillon, M., Baco, C., Derobertmasure, A., & Demeuse, M. (2024). Enseignement explicite : pratiques et stratégies. Quand l’enseignant fait la différence. De Boeck Supérieur.